Entrevue avec le Dr Amit Dotan

Doc TalkL’Hôpital de Montréal pour enfants accueille chaque année des douzaines de boursiers en provenance de divers pays grâce à une combinaison de dons et de subventions gouvernementales. Des médecins qui visent l’excellence et dont les témoignages sont de véritables inspirations. Apprenez à connaître le Dr Amit Dotan, un boursier en hémato-oncologie qui partage sa vie entre trois continents. Dr Dotan, vous pourriez pratiquer la médecine en Israël, votre pays d’origine, mais vous avez quand même choisi de venir au Canada. Pourquoi? Ma femme est spécialiste en médecine interne et je voulais que notre famille vive l’expérience d’une culture différente. Le Dr Mark Clarfield, anciennement de McGill et aujourd’hui doyen  d’une faculté de médecine internationale de l’Université Columbia University à Beer-Sheba, et attaché à l’hôpital où je travaillais, nous a parlé de l’excellente formation que l’on donnait au Children. Nous avons eu l’impression que l’endroit nous conviendrait parfaitement et avons eu la chance de compter sur les bourses pour nous aider à déménager ici. Avez-vous eu de la difficulté à trouver une maison et tout ce qui est associé à un déménagement de cette envergure? La partie la plus difficile n’est pas le déménagement comme tel. Nous connaissions des Israéliens à Montréal et ils nous ont réservé un appartement à partir de photos qu’ils nous avaient envoyées. Ce fut plus difficile de trouver un équilibre entre notre travail exigeant et nos trois enfants. En Israël, nous pouvions compter sur les grands-parents. Mais ici, nous avons dû adapter nos horaires. Ma femme et moi alternions nos heures au laboratoire de recherche parce que cela offre plus de souplesse, mais nous avons connu tous les deux des périodes intensives comme médecin. Heureusement, nous pouvons compter sur des amis pour nous aider. Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en hématologie-oncologie? J’avais choisi cette spécialité dès ma première journée à la faculté de médecine. Le cancer est un mot qui inspire la crainte. Bien que ce soit très émotif parce que vous rencontrez des familles dont le monde semble s’écrouler, il y a plus d’optimisme que les gens peuvent le croire : la plupart des enfants survivent. J’aime offrir un soutien psychologique aux gens; mon travail déborde souvent du cadre médical. Est-ce dans le même esprit que vous avez ouvert une clinique dans un petit village en Éthiopie? Oui. Pendant mes années d’études en médecine, j’ai eu l’occasion de travailler à Addis-Abeba. Ma femme m’a accompagné. J’aimais particulièrement faire du bénévolat dans un orphelinat pour enfants atteints du VIH. À cette époque, il n’y avait aucun traitement spécifique pour ces enfants, bien que Sœur Maria, qui dirigeait l’orphelinat, leur prodiguait des soins. Il y avait au moins un décès par semaine. Lorsque les traitements spécifiques sont devenus disponibles, nous avons mis en place un système pour nous assurer que tous les enfants prenaient leurs médicaments. Nous tentions de les soigner de façon très intensive tout en essayant de leur offrir le soutien émotif dont ils ont besoin, étant dans un orphelinat : jouer, apprendre… Lorsque nous avons appris que les religieuses avaient de la difficulté à mettre sur pied une clinique dans un village appelé Zizencho, cela est venu nous chercher. Les Éthiopiens sont considérés comme pauvres aux yeux des Occidentaux, mais il y a du bonheur et un équilibre dans leur vie. Je me suis senti privilégié de vivre parmi eux pendant cette période.

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Quel type de clinique vouliez-vous mettre sur pied? Une clinique qui continuerait de fonctionner après notre départ. La pérennité est très importante puisque l’hôpital le plus proche du village est situé à 100 kilomètres, accessible uniquement par un chemin de terre; c’est inaccessible pour la plupart des gens, surtout en hiver, et également trop cher. En pensant à l’avenir, nous avons pris la décision d’offrir des traitements pour des choses simples qui peuvent souvent devenir mortelles ici, comme la déshydratation causée par la diarrhée, par exemple. Nous avons enseigné ces compétences aux infirmières locales. Nous avons rendu la clinique plus accueillante. Ma tante, qui travaille dans une école en Israël, est venue passer une semaine en Éthiopie et a fait de l’artisanat avec les enfants pour décorer la clinique. Nous avons également amassé des fonds pour nous assurer d’avoir suffisamment d’argent pour répondre aux besoins de la clinique pendant longtemps. La prise en charge de cette clinique comportait de nombreuses difficultés administratives, mais avec de la détermination, nous en sommes venus à bout. Y a-t-il un événement qui vous a touché particulièrement? Je me souviens très bien de ce bébé de quatre mois. Avec mes outils diagnostiques limités au village, j’ai pu déterminer qu’il souffrait d’une pneumonie sévère avec détresse respiratoire qui empirait de jour en jour. Il avait besoin au moins d’oxygène, ce que nous ne pouvions lui donner au village. On a pris la décision de l’envoyer à l’orphelinat à Addis-Abeba. C’est un voyage de 11 heures en autocar. Il avait de la difficulté à respirer, nous n’étions pas certains qu’il allait s’en sortir, mais nous n’avions pas d’autre choix.  Nous avons fait la moitié du trajet avec lui. Il est finalement resté trois semaines à Addis-Abeba où il a reçu de l’oxygène. Il a repris des forces et est revenu au village. C’est une goutte d’eau dans l’océan, mais c’est le genre de travail que nous faisions là-bas. Qu’est-ce qui vous manque le plus ici? J’ai longtemps cherché de l’houmous et des fallafels comme on les fait en Israël. J’ai fini par trouver un endroit où le cuisinier est le frère d’un restaurateur en Israël, et chaque fois que nous y mangeons, nous avons l’impression d’être dans notre pays! Qu’avez-vous appris à Montréal que vous rapporterez chez vous? Sur le plan professionnel, j’ai été impressionné par la collaboration au sein de l’équipe multidisciplinaire au Children : médecins, infirmières, services éducatifs, travailleurs sociaux, tout le monde travaille ensemble avec respect et efficacité. Une chose que j’ai apprise, mais qu’il sera difficile d’appliquer chez nous : le ski. Même mon plus jeune fils de trois ans, peut maintenant skier! Et le français : certains de mes patients sont devenus mes professeurs, comme Léa-Marie (photo), et j’ai appris des phrases comme : « Est-ce que tu peux parler plus lentement? ». S’il y a une phrase que vous souhaiteriez apprendre en français pour mieux communiquer avec vos patients, quelle serait-elle? Aux familles francophones qui viennent tout juste de recevoir un diagnostic de cancer, j’aimerais leur dire : « Ce sera long et difficile, mais dans la plupart des cas, à la fin, tout ira bien. »