Doc Talk : Dre Geneviève Bernard
Depuis la parution de cet article, le petit Raphaël a succombé à la maladie. Il est, avec tous les jeunes affectés, une véritable source d’inspiration pour tous les chercheurs qui se dépassent afin de trouver un remède.
Avec l’aide des familles, Dre Bernard fait avancer la recherche pour traiter et guérir le plus d’enfants possible. Mais elle a besoin de vous.
À quel moment avez-vous réalisé que vous vouliez devenir docteur?
Lorsque j’étais au cégep, ma grand-mère a fait un infarctus. Mes parents ne parvenaient pas à répondre à mes questions. J’ai compris alors que je voulais savoir le pourquoi et le comment des problèmes de santé en général.
Si vous n’aviez pas choisi le domaine médical, en quoi auriez-vous fait carrière?
Adolescente, j’ai considéré la mode, mais je me suis vite rendu compte que tout ce qui relève du domaine artistique était plus un passe-temps qu’une véritable carrière! Si je n’étais pas allée en médecine, je serais devenue professeure d’éducation physique; je l’ai sérieusement considéré au moment de faire mon choix d’études à l’université.
Pourquoi avoir choisi un domaine aussi spécifique : les leucodystrophies, des maladies rares neurodégénératives du cerveau?
Mon parcours professionnel est fait d’un enchaînement d’intérêts et de coïncidences! Je trouvais que les enfants atteints de ces maladies très rares étaient laissés à eux-mêmes. Aussi, au début de ma résidence, j’ai fait une présentation sur les leucodystrophies parce que c’était pour moi la seule façon de bien comprendre ce que c’était. Puis, durant mon fellowship, on m’a offert de travailler sur un nouveau projet de recherche sur les leucodystrophies et ça a fait boule de neige. Aujourd’hui, je ne sais pas comment je pourrais me passer des relations si intenses que je développe avec les familles de ces enfants très malades.
Vous êtes mère de 3 enfants adoptés. Y a-t-il une raison précise qui a motivé ce choix?
Mon mari et moi avons toujours voulu avoir des enfants biologiques et adoptés. Voyant qu’enfanter n’arrivait pas naturellement, on s’est dit : « Pourquoi forcer la nature quand il y a des enfants qui n’ont pas de parents? » et, alors que je n’avais que 26 ans nous avons commencé les démarches pour adopter notre premier garçon. Ça a surpris beaucoup les gens car nous étions si jeunes! Puis, nous avons décidé d’adopter encore à deux reprises, cette fois des enfants ayant des besoins particuliers.
Si vous mettiez la main sur une lampe et qu’un génie vous accordait 3 vœux, lesquels seraient-ils?
« La paix dans le monde » : ça réglerait bien des problèmes! Aussi, « enrayer la maladie ». Mais avant cela, je dirais « le bonheur pour tous », car on peut être heureux même dans la maladie.
Qu’est-ce que le travail auprès des familles vous a le plus enseigné?
L’humilité, la résilience, la valeur des relations humaines. Ironiquement, ces familles m’ont aidé dans ma vie personnelle. J’ai moi-même un enfant qui a une maladie génétique rare, non décelée au moment de l’adoption, et pour laquelle il n’existe aucun diagnostic. De voir comment les autres familles gèrent cela m’aide à surmonter ces difficultés.
Étant donné que vous soignez des enfants qui ont des maladies incurables, cela veut dire que vous êtes confrontée à la mort d’enfants. Comment s’y prépare-t-on?
On ne s’habitue jamais à cette réalité. Quand il s’agit d’annoncer une mauvaise nouvelle, j’aime pouvoir me rapprocher des parents peu à peu, les voir à plusieurs reprises. Ainsi, je peux donner des réponses morceau par morceau plutôt que de les inonder d’informations qu’ils n’arriveront jamais à digérer; ce serait juste trop d’un coup. Il faut savoir que, pour ces familles, malgré que pour la majorité de ces maladies il n’y a pas d’espoir de guérison, je considère que mon rôle est important; je fais tout ce je peux pour leur donner un diagnostic précis et traiter les symptômes pour que leur enfant, comme le petit Raphaël, soit le mieux possible le plus longtemps possible, et, enfin, j’accompagne les familles dans le deuil.
Avez-vous une routine particulière avant d’entrer dans la chambre d’un de vos patients en soins palliatifs?
Oui, je fais de la visualisation : je révise ce que je vais faire, ce que je vais dire et comment, comme un chirurgien qui place ses instruments et qui revoit dans sa tête les gestes délicats qu’il va être appelé à poser. L’équipe en soins palliatifs est extraordinaire; j’apprends beaucoup d’elle. J’ai notamment appris le pouvoir des mots. De dire aux parents : « Ce n’est pas de votre faute, il n’y a rien que vous auriez pu faire », de leur faire sentir que leur enfant est chanceux parce qu’il a des parents aimants, ça enlève tellement de la douleur que ces parents ressentent.
Qu’est-ce qui rend votre journée agréable?
Au travail, c’est quand je vois que j’ai pu faire une différence, soit auprès d’un parent qui se sent mieux en quittant que lorsqu’il est arrivé, ou quand mes petits patients me font un câlin. Chez moi, c’est de voir mes cocos m’envoyer des bisous par la fenêtre, c’est le soutien de mon mari. Les relations qui ont un sens, qui sont vraies font mon véritable bonheur.
Quelle serait la chose pour laquelle vous voudriez qu’on vous souvienne le plus?
Je ne vise pas à ce que l’on se souvienne de moi! Mais en tout cas, si ça doit arriver, j’espère que c’est de façon positive! Ce que je veux avant tout est de savoir que mon travail a pu servir à quelque chose, sans pour autant que cela ne soit attribué à ma personne.
Quel est le secret de votre apparente jeunesse?
La teinture! J’ai les cheveux presque tout blancs et c’est ainsi depuis longtemps. Pour le reste, je pense que je suis juste choyée par ma génétique!
Donnez-nous un fait amusant sur vous.
Je ne sais pas danser. Un éléphant en tutu serait plus gracieux que moi! J’ai déjà dit cela à la prof de ballet de ma fille qui recrutait des parents pour jouer un rôle dans une scène de Casse-Noisettes. Elle n’a pas voulu me croire et a insisté pour que je passe une audition. Nous étions 4 pour combler 4 positions et savez-vous quoi? On ne m’a pas retenue! En quelque sorte, j’ai trouvé cela bien parce que j’ai pu montrer à mes enfants que l’échec fait partie de la vie et l’important c’est de faire de son mieux.