Un médecin passionné: Dr Luc Jutras

Dans cette édition d’Un médecin passionné, nous vous présentons le Dr Luc Jutras, cardiologue au Children depuis 1988. Dr Jutras est chef associé de la division de cardiologie pédiatrique, directeur du laboratoire d’échocardiographie et directeur du programme de résonance magnétique cardiaque. 

Selon vous, qu’est-ce qui rend cet hôpital unique parmi tant d’autres?

Pendant ma formation, j’ai eu la chance de visiter plusieurs centres hospitaliers, au Canada et aux États-Unis. Ce qui m’a ramené au Children, c’est la taille de l’établissement et l’approche familiale, non seulement avec les patients et leur famille, mais aussi entre les spécialistes, et entre  les médecins et le personnel de soutien. Tous font équipe pour le mieux-être du patient et l’attention  est centrée sur ce dernier et non la spécialité comme telle. C’est assez unique. Dans beaucoup d’hôpitaux, il y a parfois des conflits à l’interne, c’est-à-dire à soit à l’intérieur d’une spécialité, soit entre les spécialités elles-mêmes. Ce sont des aspects de compétition qui, à mes yeux, sont désagréables et nuisent non seulement à l’atmosphère mais également aux soins des patients.

Quelles sont les questions que les parents vous posent le plus souvent?

Lorsqu’il s’agit d’une malformation cardiaque, qu’elle soit mineure ou majeure, les parents se demandent toujours  « pourquoi nous ? ». En fait, ce que je leur dis, c’est que ce n’est probablement pas la bonne question, parce que dans le fond, on commence tous par une cellule unique. Ce qui devrait tous nous étonner c’est que 99% des personnes vont avoir un cœur normal. Les erreurs de la nature, qu’elles soient simples ou plus complexes, ne demandent qu’à se produire. Quand on me demande « qu’est-ce qui cause les malformations cardiaques », je réponds par l’inverse : « on ne comprend pas bien comment on peut avoir un cœur normal ».  C’est probablement lorsqu’on comprendra les mécanismes de formation d’un cœur normal que les mécanismes de malformations cardiaques deviendront tout à fait évidents. Cependant, nous sommes encore loin de cela.

Qu’est ce qui surprend le plus les gens?

Les parents sont toujours surpris que l’on soit capable de leur expliquer les choses simplement. À cause de l’emploi d’un vocabulaire scientifique, ils pensent qu’ils ne seront pas capable de comprendre. Alors qu’en fait, notre discours est accompagné d’explications détaillées qui permettent aux parents de mieux comprendre la fonction du cœur et ce qui se passe lorsqu’il n’est pas tout à fait normal. On emploi ainsi souvent des termes de plomberie. Personnellement,  j’utilise des schémas que je fais à la volée au fur et à mesure de mes explications. Les parents me disent, quelques 18 ans plus tard, ou lorsque leurs enfants sont devenus adultes: « Vous savez docteur, j’ai encore votre dessin.  J’ai ce dessin parce que ça m’a permis de vraiment comprendre ce qui se passait avec le cœur de mon enfant. » Ils se sont enfin simplement sentis impliqués dans la discussion et dans le processus.

Vous enseignez à de jeunes étudiants très doués. Quelles sont les qualités que vous tentez d’enseigner à vos étudiants pour qu’ils deviennent de bons médecins?

Les qualités à développer dépendent en fait surtout de la spécialité qu’ils souhaitent choisir. Un médecin doit être impliqué. Bien que l’on enseigne généralement aux étudiants de maintenir un détachement émotionnel avec leurs patients afin de se protéger. Je pense qu’il faut quand même garder un investissement émotif. Il faut que ce qui se passe ait de l’importance. Personnellement, cette importance est proportionnelle aux liens d’attachement que je vais développer avec la famille et le patient lui-même. C’est cet attachement qui fait que nous avons une bonne prise en charge, que nous sommes préoccupés par le bien-être du patient et que les parents se sentent important, écoutés.  Ils doivent pouvoir venir à nous quand ils sont inquiets, quand ils ont besoin d’être rassurés,  ou encore  quand ils ont besoin d’explications.

Avez-vous hâte d’être au nouveau Children? Comment est-ce que le travail de votre équipe sera facilité par les nouvelles installations?

J’ai très hâte. Bien sûr, nous serons appelés à travailler d’une façon différente. La cardiologie a la chance d’avoir un plateau indépendant qui est complet et qui nous permet d’être beaucoup plus fonctionnels, chose qui aurait jamais pu être possible au Children. Effectivement, au nouveau Children, tous les plateaux techniques et les plateaux de consultations seront au même endroit. Les gens travailleront ensemble plutôt qu’à des endroits différents. Nous serons toujours à quelques pas les uns des autres et ne serons pas très loin de nos patients hospitalisés. Ce sont des avantages évidents!

Que considérez-vous comme votre plus grand accomplissement?

Ah mon dieu! Je pense qu’au niveau personnel j’ai décidé de centrer ma pratique sur les soins de mes patients et je crois que je l’ai accompli et que je continue de l’accomplir.  C’est ma préoccupation principale.  Dans le futur,  c’est ce que je continuerai à faire. Et ça devrait être évident. Tout le monde devrait avoir cette attitude-là, mais il y a quand même d’autres intérêts qui sont en jeu et qui sont aussi importants. Il faut maintenir un bon département, pouvoir bien remplir les tâches administratives, faire également de la recherche, faire de l’enseignement et, là-dessus, il faut choisir les proportions qui composeront l’ensemble de notre pratique. Pour ma part, il y quelques années, j’ai décidé de me recentrer sur les soins de mes patients et je n’ai aucun regrets.