Le petit garçon dans le sous-sol

Un air de déjà vu ? Peut-être pas pour vous, mais pour moi, oui. C’était il y a 17 ans, en mars 2003. Mon fils Jake, qui n'avait que 5 ans à l'époque, était atteint d’un cancer. Notre vie se résumait à garder une distanciation sociale. Ce terme n’était pas utilisé à l'époque mais nous avons vécu les mêmes restrictions qu’aujourd'hui. Nous protégions Jake du monde. Pendant les quelque 130 semaines de chimio, nous n'avons pas joué au bowling, nous ne sommes pas allés au cinéma, ni à la bibliothèque, ni aux rassemblements scolaires, nous n'avons pas vu d'amis, nous avons raté les mariages et les bar-mitsvas et nous avons totalement cessé d'aller à la synagogue. Jake était si fragile que je voulais le protéger à tout prix. Nous ne sommes pas allés en vacances, mon mari et moi ne sommes pas partis pour un long week-end… tout était une menace pour nous. J'attendais que tombe le couperet.

Au Children, Jake portait un masque. Un petit garçon aux grands yeux bleus avec un masque géant. Qui sait quels germes étaient tapis dans l’ombre. Je l’empêchais de toucher le bouton de l'ascenseur, même s'il le réclamait, je ne le laissais pas manger dans les assiettes de l'hôpital quand on livrait ses repas, je ne lui permettais pas de manger les petits plats préparés par les familles de peur qu’ils aient été préparés par des personnes malades. Jake n'allait plus à l'école. Finies les pièces de théâtre, les sorties et les mathématiques, plus de gymnase, plus de plaisir à courir avec ses amis. Même lorsque nous allions au parc, il lui fallait porter des gants pour jouer dans les structures et il n’était pas question pour lui de jouer dans le sable. Dès l'arrivée des gens, nous rentrions chez nous.

Je me sentais seule. Personne ne comprenait et je me suis rendu compte de la chance que les autres avaient de laisser leurs enfants s’amuser en toute liberté. J’étais impuissante quant à la réussite des traitements médicaux, alors je voulais faire tout ce que je pouvais pour le protéger. Il était si petit et je savais que son système immunitaire était affaibli par la chimio.

Puis survint la neutropénie. Quarantaine. Isolement. Des mots qui étaient sortis de mon vocabulaire depuis 17 ans. Des mots qui m'étaient si étrangers à l'époque et si familiers aujourd'hui. Un nouveau mode de vie pour notre famille. Sa sœur cadette et sa sœur aînée ont dû arrêter d'aller à l'école. Jake ne pouvait même pas interagir avec son nouveau petit frère. Nous étions à l'hôpital pendant près de 2 semaines et j'étais la seule autorisée à le voir. Nous avons passé d'innombrables heures à écouter Hilary Duff, à faire du coloriage et à jouer avec un ensemble stérile de Polly Pocket ou un puzzle nettoyé à l'alcool. Nous avons fait des biscuits, bavardé, regardé des films devant une télévision stérile géante que nous déplacions d’une pièce réservée aux enfants neutropéniques.

Lorsque Jake a finalement été autorisé à rentrer à la maison, il a dû se mettre en isolement total. Ses petits amis venaient le voir à travers la fenêtre. Il s’agitait frénétiquement, poussant des cris et des éclats de rire à leur attention. Ils laissaient à la porte des jouets ou des pierres que nous ramassions et nettoyions après leur départ. C'était sa réalité. Il allait très bien. C’était loin d’être mon cas. C'était plus que je n’en pouvais supporter, mais je devais le faire pour protéger Jake du monde. C'est comme si j'avais des lunettes qui voyaient le danger partout, alors que tout était normal pour les autres. Mon point de vue avait changé et était faussé par sa leucémie.

Aujourd’hui, Jake a aujourd’hui 22 ans. Et lundi dernier, presque 17 ans après l’annonce de son diagnostic de leucémie, Jake est rentré de Los Angeles, où il faisait son chemin en tant que chanteur compositeur. Le fameux couperet est alors tombé. Mais cette fois, en rentrant à la maison, c’est lui qui est devenu une menace potentielle pour nous. Mon propre fils ! Celui que j’avais protégé du monde, celui que j’avais préservé du danger, était maintenant un danger pour nous ? Ça ne fait aucun sens pour moi.

Quarantaine. Isolement. Encore. Mais cette fois, c’est si différent. Nous ne sommes maintenant plus seuls. Nous sommes tous unis par cette situation. Tous dans le même bateau. Je ne peux pas m’apitoyer sur mon sort ou chercher un sens à tout ça parce que je ne suis pas la seule à souffrir. Je respecte les règles et c'est la seule façon pour moi de rester positive devant la situation. Alors nous voilà repartis. Jake est redevenu le petit garçon dans le sous-sol. Exactement comme les deux semaines qu'il a passées en isolement quand il avait 5 ans. Cette fois à 22 ans. Je ne peux pas l’embrasser. Je ne peux pas le toucher. Je ne peux pas regarder un film d'Hilary Duff avec lui sur le canapé. Nous sommes allés nous promener, lui de l'autre côté de la rue. Nous laissons ses repas sur l’escalier, dans des assiettes et des tasses en carton.

Heureusement, il ne présente aucun symptôme, mais c'est une mesure de précaution.

Donc, si je peux séparer temporairement ma famille pour le bien de tous, vous pouvez faire votre part en restant à la maison. Isolez-vous avec votre famille, si vous avez la chance d'être avec eux. Les amis attendront. Le travail sera toujours là sous une forme ou une autre, des rencontres sociales finiront par avoir lieu… Je l'ai vécu une fois et je peux le refaire. Il y a 17 ans, le résultat a été si magique ! Jake est un bel être humain sain, talentueux et brillant. J'ai fait ma part. Je recommence. Maintenant c'est votre tour.

Nat