Troubles alimentaires chez les adolescents : nos experts répondent à vos questions
Le nombre de jeunes en quête de traitement pour des troubles alimentaires a explosé pendant la pandémie et la demande de soins restera probablement élevée pendant plusieurs années.
« Les troubles alimentaires sont la deuxième maladie chronique la plus courante chez les adolescents après l’asthme. Le nombre d’enfants et d’adolescents traités pour cette affection a augmenté pendant la pandémie et la demande de soins restera probablement élevée pendant plusieurs années », affirme la Dre Holly Agostino, directrice du Programme des troubles alimentaires à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Elle répond aux questions sur cet important sujet.
Q : Nous savons qu’il y a eu une augmentation considérable du nombre d’adolescents cherchant de l’aide pour un trouble alimentaire pendant la pandémie. Quelle est la situation aujourd’hui?
R : La COVID-19 a eu un impact énorme sur l’incidence des troubles alimentaires. Partout au Canada, le nombre d’enfants demandant des soins a doublé et les hospitalisations ont triplé. Les causes de ce phénomène sont probablement liées à de nombreux facteurs : la fermeture des écoles, l’isolement, la perte des habitudes de vie, les médias sociaux et l’augmentation des symptômes anxieux et dépressifs dus à la pandémie.
Heureusement, les enfants ont repris leurs habitudes. Cependant, pour tous ceux qui ont développé un trouble de l’alimentation au cours des deux dernières années, leurs symptômes ne vont pas simplement s’améliorer maintenant qu’ils sont de retour à l’école. Le nombre de jeunes en quête de soins reste élevé et supérieur à la moyenne, et il faudra probablement de nombreuses années avant que nous ne revenions à des temps d’attente normaux pour les services spécialisés.
Q : Quelle est la répartition des troubles alimentaires entre les filles et les garçons?
R : Les troubles alimentaires sont la deuxième maladie chronique la plus fréquente chez les adolescents après l’asthme. Environ 4 % des adolescents peuvent être affectés par un trouble alimentaire si l’on applique des critères de diagnostic stricts. Si l’on considère les formes partielles, ce chiffre peut atteindre de 10 à 15 %.
Par le passé, les troubles du comportement alimentaire, en particulier l’anorexie mentale, étaient considérés comme une maladie essentiellement féminine. Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Jusqu’à 15 à 20 % des patients diagnostiqués comme anorexiques sont des hommes et cette proportion est encore plus élevée selon le type de trouble alimentaire.
Il est important de se rappeler que la société encourage également un idéal corporel irréaliste pour les hommes. Au lieu de valoriser la minceur, les hommes cherchent souvent à avoir un corps plus musclé et plus tonique. La motivation peut être légèrement différente chez les adolescents, mais les conséquences médicales et psychologiques sont les mêmes. Il est important de ne pas rejeter les symptômes de troubles de l’alimentation chez les garçons en raison de préjugés sexistes.
Q : Qu’est-ce qu’un trouble alimentaire?
R : Tous les adolescents qui détestent une partie de leur corps ou qui ont des habitudes alimentaires inhabituelles ne souffrent pas forcément d’un trouble alimentaire. Bien que de nombreux troubles du comportement alimentaire impliquent une perte de poids, un trouble alimentaire ne repose pas uniquement sur le chiffre indiqué sur le pèse-personne – il s’agit en fait de la « place » que ces comportements occupent dans la vie quotidienne d’un adolescent.
Les patients affectés passeront la majeure partie de leur journée à s’inquiéter de leur poids, du prochain repas, de la nourriture qui leur sera servie et de leurs sentiments après le repas. Beaucoup d’entre eux vont se tourner vers d’autres méthodes de perte de poids (vomissements, exercice physique excessif) pour surmonter la culpabilité liée à l’alimentation. Pour beaucoup, l’estime de soi est liée à leur capacité à contrôler leur alimentation et leur poids. Peu à peu, cela affecte tous les aspects de leur vie (dynamique familiale, amitiés, rendements scolaires) et les adolescents perdent la maîtrise devant leur trouble alimentaire.
Q : Quels sont les différents types de troubles alimentaires?
R : Il existe de nombreux types de troubles alimentaires. Une façon simple d’y penser est de les diviser en deux catégories : les formes restrictives et les formes boulimiques.
On parle de troubles alimentaires restrictifs lorsqu’un adolescent ne mange pas suffisamment pour rester en bonne santé. Il s’agit généralement de l’anorexie mentale, où le patient restreint son alimentation en raison d’un désir de changer son corps et de la peur de prendre du poids. L’anorexie mentale atypique est le même trouble, sauf que le poids du patient reste dans la fourchette normale pour son âge et sa taille.
Même si ces patients ne correspondent pas à l’image que les gens se font de l’anorexie, il ne faut pas en déduire qu’elle est moins grave. Les patients souffrant d’anorexie mentale atypique ne sont souvent pas considérés comme ayant un problème et, par conséquent, leur diagnostic peut être retardé. Pourtant, lorsqu’ils demandent de l’aide, leur état de santé est généralement aussi mauvais, voire pire, que celui des personnes souffrant d’insuffisance pondérale.
Un autre trouble restrictif de l’alimentation qui peut se présenter en pédiatrie est le trouble d’alimentation sélective et/ou d’évitement. Dans ce cas, le patient peut avoir peur de manger, mais cette peur n’est pas fondée sur le désir d’être mince. Souvent, ces patients ont vécu une expérience traumatisante avec la nourriture (épisode d’étouffement ou réaction allergique) et la peur que cela se reproduise les empêche de manger. Bien que la raison derrière la restriction soit différente, ils peuvent présenter une perte de poids rapide et une mauvaise santé physique également.
Dans le cas des troubles de l’hyperphagie boulimique, les patients mangent, pour la plupart, normalement mais connaissent des épisodes où ils mangent sans contrôle de grandes quantités de nourriture, ce qui entraîne souvent un niveau élevé de culpabilité et de honte. Dans le cas de la boulimie, cette culpabilité pousse les patients à adopter un comportement compensatoire appelé « purge » (par exemple, se faire vomir, faire des exercices physiques excessifs ou restreindre sa consommation de nourriture). Parfois, les patients peuvent se gaver et ne pas se purger par la suite, comme c’est le cas dans l’hyperphagie boulimique. Bien que ces patients perdent rarement de grandes quantités de poids, ils sont obsédés par la nourriture, les repas et l’image corporelle, ce qui a un impact sur leur estime de soi.
Q : Quels sont les signes d’un trouble alimentaire possible chez mon enfant?
R : Une perte de poids inexpliquée est une manifestation évidente d’un trouble de l’alimentation, mais les symptômes peuvent parfois être plus subtils. Un enfant peut se plaindre de fatigue, de vertiges ou s’évanouir. Chez les filles, certaines peuvent arrêter d’avoir leurs règles. La malnutrition peut également affecter le sommeil et l’humeur. Elle peut également aggraver des symptômes préexistants d’anxiété ou de dépression. La concentration et les rendements scolaires peuvent également en souffrir.
Les parents peuvent également être attentifs aux symptômes comportementaux d’un trouble alimentaire. La rigidité des choix alimentaires (refus des types d’aliments qu’ils avaient l’habitude de manger) ou de la taille des portions, ou le « besoin » de faire de l’exercice (par opposition à l’exercice pour le plaisir) peuvent tous être des signes précurseurs d’un trouble alimentaire.
Q : Pourquoi les enfants développent-ils des troubles alimentaires?
R : Parfois, les troubles alimentaires se développent après un événement stressant ou traumatisant de la vie, mais dans de nombreux cas, il n’y a pas de cause évidente. En fait, la thérapie familiale, qui est le traitement de référence des troubles alimentaires restrictifs chez les adolescents, se garde bien de chercher l’origine du trouble alimentaire. Une fois le diagnostic posé, nous nous concentrons sur la reprise du contrôle face au trouble alimentaire, en aidant l’adolescent à retrouver des habitudes alimentaires saines, puis, vers la fin du traitement, nous examinons si des problèmes de santé mentale subsistent.
Q : Que peuvent faire les parents?
R : Une grande partie du traitement des troubles alimentaires chez les adolescents consiste à donner aux parents les moyens de reprendre le contrôle des repas, à la maison. Lorsqu’un adolescent est affecté par un trouble alimentaire, il n’est pas en mesure de faire des choix sains pour lui-même. C’est son trouble alimentaire qui dicte ses décisions.
Les parents doivent considérer le trouble alimentaire comme une entité distincte de leur enfant et ne pas se plier à ses exigences. Avec de l’aide, les parents doivent apprendre à fixer des limites concernant l’exercice, les choix alimentaires et les portions. Le trouble alimentaire peut amener l’enfant à se comporter de manière excessive lorsque les parents fixent des limites, mais sans confrontation, il ne disparaîtra jamais.
Les parents doivent préparer la nourriture et les portions dont l’adolescent a besoin, et non ce qu’il dit vouloir, et le soutenir pendant le repas. La nourriture est leur médicament et manger ne doit pas être facultatif. De même, il est normal de fixer des limites en matière d’exercice physique, d’événements sociaux, etc., jusqu’à ce que de meilleures habitudes alimentaires soient rétablies.
Q : Où les parents peuvent-ils obtenir de l’aide pour leur enfant?
R : Depuis la COVID-19, les temps d’attente dans les secteurs public et privé pour les services spécialisés dans les troubles de l’alimentation ont augmenté de façon spectaculaire. Un bon point de départ pour les parents inquiets est le médecin de famille qui peut avoir une relation établie avec l’enfant et les antécédents médicaux. Après évaluation, le médecin pourra choisir d’orienter l’enfant vers des services spécialisés en fonction des besoins de la famille.
Il existe également beaucoup de bonnes ressources en ligne ou imprimées sur la thérapie familiale et sur la façon dont les parents peuvent adopter cette approche comportementale à la maison. Certaines de ces ressources sont accessibles sur la page du Programme des troubles alimentaires du site Web de l’Hôpital de Montréal pour enfants.
Q : Est-ce qu’une personne souffrant d’un trouble alimentaire peut en guérir?
R : Absolument. En fait, les résultats sont bien meilleurs chez les adolescents que chez les adultes. Le plus important est de chercher de l’aide rapidement si vous avez des inquiétudes, car plus on commence le traitement est tôt, meilleurs sont les résultats. Cependant, les familles doivent se rappeler que les troubles alimentaires sont des maladies chroniques. Ils ne s’améliorent pas après quelques visites – il faut du temps et des efforts à l’enfant et à sa famille pour vraiment surmonter tous les aspects du trouble. Grâce à la collaboration de la famille et de l’équipe soignante, la plupart des adolescents peuvent se rétablir complètement de leurs symptômes physiques et émotionnels.
Causons pour la cause
Le 25 janvier, à l’occasion de la Journée Bell Cause pour la cause, passons le mot pour aider les enfants et les adolescents aux prises avec des problèmes de santé mentale. Maintenant, plus que jamais, chaque geste compte.